LIBRE OPINION
La FFSCM, sous réserve de l’accord de son Président, ouvre son site à de libres opinions afin d’alimenter le débat d’idées. Les propos de cette tribune n’engagent que leur auteur.
COMMENT DEVELOPPER UNE PRODUCTION AGRICOLE ECO-RESPONSABLE.
Toujours plus, ou plutôt, toujours plus, mais avec toujours moins.
Le challenge paraîtrait impossible à beaucoup, mais depuis toutes ces années, l’agriculture et ses acteurs s’y sont habitués.
Plus d’aliments, plus d’énergie, plus de matériaux renouvelables, plus de carbone stocké, plus de biodiversité, plus d’environnement, plus d’AOC, plus de goût et plus de sécurité alimentaire.
A ce sujet d’ailleurs, le mot sécurité n’a pas la même signification si on se trouve en Afrique subsaharienne où il s’apparente à la quantité minimum vitale, ou bien si on est citadin européen où là il évoque la qualité sanitaire.
Donc toujours plus de plus, mais en même temps avec moins d’engrais, moins de pesticides, moins d’eau, moins d’énergie, moins de surface parfois et moins d’agriculteurs.
Une certaine mode médiatique parle de devoir de mémoire, et bien nous pourrions nous aussi faire cet exercice pour parler de production agricole et d’alimentation. Il est intéressant de retourner 3 ou 4 ans en arrière, c’est très loin déjà et de relire les articles et les commentaires de l’époque. On déclarait que la nourriture à bon marché exportée par les pays riches décourageait les productions locales des pays en voie de développement et jetaient leurs agriculteurs sur la route des villes. Il fallait impérativement faire remonter les prix pour développer l’agriculture vivrière. Leurs voeux ont sans doute été trop rapidement et pas assez progressivement exaucés.
On annonçait aussi avec certitude que la rentabilité des biocarburants ne serait quasiment jamais atteinte, sauf avec un pétrole à 80$ le baril, ce qui n’était même pas envisageable. Tout cela n’était pas totalement faux, mais pas aussi exact quand même que ce que l’on voulait bien écrire. Aujourd’hui, les médias s’alarment devant les émeutes de la faim et crient haro sur les biocarburants. Quand on mettait du blé à brûler dans les chaudières en 2004/2005, il n’y avait que quelques agriculteurs retraités pour s’en émouvoir. Et pourtant, sa valorisation en calories de chauffage était meilleure que d’en faire du pain et il revenait moins cher que des granulés de bois ou du fuel. On ne parlait pas encore de compétition nourriture/énergie et le budget alimentation du consommateur baissait toujours.
Aujourd’hui, c’est plutôt médiatiquement difficile pour les biocarburants et pourtant la photosynthèse est l’unique méthode que nous puissions économiquement exploiter pour le moment en matière de recyclage du Co2 et les derniers écobilans réclamés sont toujours positifs. Les biocarburants ont changés, ils sont devenus des agrocarburants de 1ère génération et il n’y a plus de salut que dans la biomasse de deuxième génération. Elle est super, cette 2ème génération : de la paille, de l’herbe à éléphants, du sorgho, du bois qui ne concurrence pas l’alimentation.
Certains pensent d’ailleurs qu’elle pousse sans eau, sans engrais, que l’on peut exporter chaque année la totalité de la biomasse produite sans épuiser des sols forestiers déjà pas trop riches. A voir!
De toute façon, il faudra la produire ailleurs que dans nos champs, sinon cela ne servira à rien. Alors,allons dans la forêt! Allons dans les terres vierges! N’ayons pas peur de regarder vers les zones tropicales humides qui sont intrinsèquement les plus productives du monde. Mais cela ne sera pas très bon pour la biodiversité et je vois déjà les vives oppositions qui vont s’élever.
Pas simple tout çà!
Parlons d’un projet qui vous donnera la mesure et la complexité des problèmes qui touchent l’agriculture et la planète :
Au Ghana, une société ghanéenne va produire de la canne à sucre sur 30.000 ha de savane pour la transformer en éthanol. Le gouvernement ghanéen est très satisfait, et on peut le comprendre. Il a obtenu du Brésil un prêt d’une banque publique pour la mise en culture de la canne et la construction de l’usine, ses débouchés d’éthanol sont destinés et garantis par la Suède qui satisfera son exigence européenne en émission de Co2 et deviendront, après le café, l’or et le bois, le quatrième produit d’exportation du Ghana. Quand au surplus d’électricité produit, il sera racheté et consommé sur place. Qui peut juger les ghanéens, interférer dans leur politique gouvernementale ou interdire un tel projet et au nom de quoi ?
Alors pourquoi en si peu de temps, tant de contradictions ?
Il y a les causes connues depuis assez longtemps, en tout cas par les acteurs agricoles. Nos intervenants nous les ont présentées tout à l’heure. Des causes moins connues ensuite.
D’abord le fameux effet King du nom de l’économiste qui avait décrit cet effet dès le 18ème siècle. Pour simplifier, 5 % en plus ou en moins d’une production agricole font varier son prix de plus ou moins 50%, alors, quand le vent du libéralisme secoue les organisations de marché et que les fonds de pension viennent jouer sur le marché à terme, les variations deviennent très brutales.
Enfin et surtout la passion, la passion qui s’empare de la société quand on parle de l’agriculture. Cette passion qui méconnaît la réalité scientifique quand elle ne va pas dans la direction souhaitée, qui évacue la raison et le bon sens sans aucun état d’âme et quelque fois l’honnêteté en même temps. Jean-luc Mayaud, professeur d’histoire contemporaine à Lyon, explique que l’Agriculture se voit assigner une fonction symbolique disproportionnée et décalée par rapport à la réalité. Les médias rêvent des valeurs immuables de la terre, de l’éternel paysan, du bon lait tiré avec une main non lavée mais garantie sans germes, des pommes bien naturelles mais aussi bien rouges et sans aucune tache, ou des veillées paysannes nostalgiques au coin du feu sans la télé.
Tout cela n’existe plus qu’en de très rares endroits et n’est pas facile à faire renaître. Alors déception et petites vengeances, même si, comme nous l’a montré Jean-Paul HEBRARD, le capital sympathie semble intact.
Alors qui aime bien, châtie bien!
Il faudrait savoir raison garder! Eviter les effets de mode ou de balancier.
Produire des aliments à partir de l’agriculture biologique est une idée louable en soi, mais est ce bien compatible avec la tension sur l’alimentation que nous connaissons actuellement.
Les consommateurs financièrement aisés ou intellectuellement convaincus ont peut être besoin de produits bio. L’idée des AMAP (aide Au Maintien d’une Agriculture Paysanne) est fondamentalement intéressante, mais elle ne concernera pas le plus grand nombre. Encourager à grande échelle, une diminution des rendements irait se frotter à l’effet King et certainement à l’encontre du fameux pouvoir d’achat dont on parle à longueur de journées.
Autre idée intéressante, on vient de découvrir que pour produire 1 kilo de viande de boeuf, on mobiliserait 30 tonnes, 50 tonnes, voire 100 tonnes d’eau, selon certains militants végétaristes.
Le kilo de blé, lui en nécessiterait 1 tonne et celui de riz ou de soja en aurait besoin seulement de 2 tonnes.
Alors, ça tombe bien! Comme nous avons besoin de place, labourons les prairies pour arrêter ce gaspillage d’eau. Mais alors manger de la viande sera réservé aux pays riches, et interdit aux pays en voie de développement qui devraient rester végétariens.
Du bon sens encore, de la raison toujours!
On ne s’appesantira pas sur le dossier brûlant des OGM, sauf pour dire 3 choses:
- que nous en consommons de plus en plus, sans le dire, et que cela dépasse de loin l’hypocrisie communément admise,
- pour dire aussi que, quand on connaît la réalité économique de la distribution agricole, et contrairement à ce qui est dit, on s’aperçoit que là où il y a du coton BT, le fabricant d’insecticides ne vend plus grand chose, ce qui est un progrès, admettons le.
- que cela semble en adéquation avec la fameuse problématique du début : produire plus avec moins.
Si à une époque, on a consommé beaucoup d’engrais, leur raréfaction, qui confine presque à une pénurie, sans doute un peu artificielle, leurs prix qui flambent, n’incitent pas les producteurs au gaspillage et les conduisent à en limiter leur usage au strict nécessaire. Les pistes explorées et développées par Cédric CABANES sont donc économiquement et écologiquement plus que bienvenues.
De même pour le dossier des phytosanitaires, dont on aurait tendance à faire le procès chez nous, mais à les absoudre quand ils seraient utilisés dans les denrées importées. Claire MORIN sait bien par exemple que l’exemple du Danemark est pour le moins présenté d’une manière tronquée. Leur emploi répond à des besoins identifiés et laisser croire que d’un coup de baguette magique, on pourrait s’en affranchir, sans que cela ait des conséquences sur la production, n’est pas très crédible sur le terrain.
Donc, pas de Révolution.
On ne manie pas facilement le climat, 600 millions de tonnes de blé ou 6 milliards d’habitants, sauf en paroles. Le pilotage de l’agriculture s’apparente plus à celui d’un paquebot que d’un hors-bord, et il est difficile ensuite d’éviter les écueils, si on a pris la mauvaise direction au départ.
Plus de recherches et d’innovations sont donc nécessaires, mais pas suffisantes, économisons, arrêtons de gaspiller, mangeons moins de viande, luttons contre l’obésité, mais continuons à regarder vers l’avenir sans se décourager; pourquoi ces deux attitudes seraient elles incompatibles.
Nous avons connu l’agriculture « tout court », car elle n’avait pas vraiment de qualificatifs, ou alors, elle était traditionnelle, puis elle a évolué vers un coté présenté négatif sous l’adjectif « intensive » ou pire « industrielle », puis elle a tenté de se racheter en devenant « de précision » ou « raisonnée ». Cela n’a pas suffit, elle devient maintenant durable ou mieux intégrée, comme nous l’a montré le professeur Jean ROGER-ESTRADE.
L’agriculture a tellement d’enjeux à résoudre, qu’elle évolue sans cesse et nous avec.
L’agriculture éco-responsable ou intégrée ne sera pas plus simple à pratiquer que l’agriculture actuelle. Au début du sans labour, on parlait des TCS : « Techniques Culturales Simplifiées » et rapidement devant leur complexité et avec un peu d’humour, on les a appelées les « Techniques Compliquées de Semis ». Nos entreprises ont toujours accompagné nos clients agriculteurs dans les phases de vulgarisation technique et le développement des innovations passe sans aucun problème par le relais de nos techniciens.
Quelques seront les orientations choisies, économies avec risque de repli, ou innovations avec risque d’erreur, ou les deux, nous aurons toujours besoins d’entreprises et d’hommes pour accompagner ces changements.
M. GUTTON a cité notre actuel Ministre de tutelle qui disait souvent que l’Agriculture était de retour…
Nous dirions gentiment que nous, négociants agricoles, ne nous en étions pas aperçus, mais c’est sans doute parce que nous ne l’avions jamais quittée.
Discours de clôture du congrès du négoce Centre Atlantique du 23 mai 2008, avec l’aimable autorisation de l’auteur, Jean-Michel BODIN, co-président du Groupement Régional Négoce Centre Atlantique